• 21 novembre 2016

    Lundi 21 novembre 18:00 Médiathèque

       ATELIER PHILO

    La mort

    Compte rendu ... la suite

     

    Atelier philo du 21 novembre 2016 Thème : la mort Compte-rendu / synthèse

    12 Participants : Jacky Arlettaz, Frédérique Piera-Baylot, Noëlle Canadell, Malou Delmas, Monique Tardieu, Maurice Azra, Claude Munoz, Frédéric Baylot, Michel Tardieu, Olivier Prévost, Jean-Marc Periot, Georges Namiech (Excusées : Josette Tumson, Clémence Stredel)

    Président de séance : Frédéric Baylot

    Compte-rendu : Georges Namiech

    I. Introduction de la séance : Jacky

    Jacky propose de lire et de commenter quelques passages de livres qu’il a « pêchés » dans sa bibliothèque. Il répond ainsi au désir de certains d’ajouter des références afin d’ancrer davantage nos échanges dans la philosophie.

    Phèdre de Platon. Ce livre appartient aux dialogues de la maturité de Platon, au même titre que La République. Il met en scène Socrate et le jeune Phèdre. Le sujet porte sur l’amour et la beauté, d’une part, puis sur la question de la dialectique dans un second temps.

    Absolu, dialogue entre l’Abbé Pierre et Albert Jacquard. Ces deux hommes de réflexion et d'action, deux figures atypiques de la science et de la foi se posent la question de l'Absolu. Face à la notion d'absolu, qu'est-ce que la société, le beau, le savoir, la vérité, la responsabilité, la mort, le pouvoir ?

    Traité du désespoir, de Kierkegaard ‒ Sören Kierkegaard (1813-1855), " Le père de l'existentialisme " a eu une vie brève et a écrit ses oeuvres les plus importantes dans un laps de temps de quelques années. Le Traité du désespoir, publié en 1849, est à la fois le dernier de ses livres fondamentaux et la synthèse de tous les thèmes majeurs de son oeuvre.

    Malraux Camus Sartre Bernanos l'espoir des désespérés (1953) d’Emmanuel Mounier ‒ Quatre études où Mounier propose une lecture dynamique, nous révélant l'orientation et les voies qu'empruntent ces écrivains, tout en les confrontant à sa propre pensée et à ses propres choix.

    Apprendre à vivre (2008) de Luc Ferry ‒ plongée jusque dans l’antiquité où l’on voit l’émergence de la philosophie, à savoir l’envie de combattre la peur de la mort à travers autre chose qu’une croyance métaphysique (la religion).

    II. Échange

    A. Références à caractère scientifique (termes et notions abordés au cours de l’échange)

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     Phénotype : Ensemble des caractéristiques observables d'un individu résultant de l'expression de ses gènes et de leurs éventuelles interactions avec l'environnement (par exemple la couleur des yeux). Gène: Séquence d'ADN responsable de la détermination d'un caractère phénotypique. La plupart des caractères sont déterminés par plusieurs gènes. Génotype : Ensemble des gènes portés par les chromosomes.

     Au plan cellulaire, nous sommes programmés sauf pour ce qui concerne les cellules souches et les cellules liées à la sexualité. La perspective (biologie) de stopper, voire de retourner en arrière, le processus de vieillissement semble possible (homme augmenté, prolongement de l’espérance de vie, thérapie- génie…) d’où changement de paradigme dans la programmation de la vie. (réf. Conférence sur les cellules souches tenue à Argelès l’an dernier)

     Programmation stable : la phylogénèse entraîne l’embryogénèse (cellules  tissus  organes  appareils  systèmes  individu). Chez l’homme la régénération des cellules est très limitée contrairement à certaines espèces animales (ex : salamandre)

     L’épigénétique correspond à l'étude des changements dans l'activité des gènes, n'impliquant pas de modification de la séquence d'ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d'ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles.

     Un télomère est une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d'ADN à l'extrémité d'un chromosome. Les télomères raccourcissent avec l’âge, l’inflammation et le stress. Des études ont montré que des télomères courts sont associés à un risque plus élevé de maladies liées à l’âge.

     Il est nécessaire de différencier la potentialité biologique (le possible) de sa traduction réelle.

     Le bond considérable des SVT remet en question notre vision et notre prisme sur la longévité humaine : la limite maximum des 130 ans de vie pourrait être franchie (Référence à la théorie du remplacement : le monde trouverait naturellement et par nécessité des substitutions, des métamorphoses, des adaptations aux nouvelles situations de survie).

     C’est parce que nos cellules meurent et se renouvellent que la vie est possible.

     Le corps évolue sans cesse à travers le temps mais la pensée perdure dans ses fondamentaux, s’enrichit et se transmet au-delà de la mort. L’héritage s’inscrit dans l’inconscient dans les vies successives. Il ressort au cours des étapes de l’évolution de l’humanité, de l’homme préhistorique à l’homme moderne.

     La naissance de la sexualité entraîne la mortalité.

    B. Propositions de définition de mots clés

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     Vie : c’est un cadeau qui comprend la mort, c’est ce qui rend humain en attendant la mort, ce qui fait agir (devenir) ; c’est partager (solidarité), c’est le « Je » et le « nous » dans l’ici et maintenant.

     Mort : désigne la cessation de toute vie à l'intérieur d'un organisme. La mort survient lorsque tous les processus organiques ont cessé de fonctionner. Chez l'être humain, la mort est déterminée par l'arrêt des fonctions cérébrales et le début de la décomposition du corps. L'arrêt du coeur ne signifie pas la mort et est qualifié de mort clinique. Mais il faut nous libérer de l’aspect scientifique pour aborder ce sujet au plan philosophique.

     Âme : (du latin anima, « souffle, respiration ») c’est le principe vital et spirituel, immanent ou transcendant, qui animerait le corps d'un être vivant (homme, animal, végétal). Il y a lieu de dissocier le point de vue religieux, mystique, métaphysique (principe de vie, entité immatérielle et immortelle) du point de vue matérialiste (esprit, pensée, conscience, personnalité… conf. Epicure, Hobbes, Onfray…)

    L’âme aurait trois fonctions : végétative, animale, rationnelle (c’est cette dernière qui aurait permis la conscience, la culture…)

    L’âme serait la résultante de la vie, une somme esprit-matière après la mort : des champs électromagnétiques existent toujours après la mort.

     Conscience : ce qui fait que l’on est soi ; aptitude à agir librement ; c’est la réciprocité du regard, la prise en compte de l’autre en soi ; entre le ça et le subconscient, entre le conscient et le culturel. La conscience se bat contre deux forces : l’animalité (inscrit dans le cerveau reptilien) et le sur-moi (ce qui nous vient des autres : raison, valeurs…)

    C. Idées générales échangées

     Pour réfléchir au sujet de la mort, nous ne pouvons nous appuyer que sur ce que nous connaissons : la vie. Par conséquent « philosopher » n’est-il pas d’apprendre à vivre plutôt que de se préparer à mourir ?

     La mort est une absurdité. Elle est appréhendée à partir d’un certain niveau de conscience et d’expérience. La mort est trop abstraite, trop étrangère à leur monde pour que les jeunes enfants en aient vraiment peur.

     Ce n’est pas la mort qui pose problème mais la vie. Dans le cogito ce qui compte c’est le « Je ».

     Ce qui nous fait peur, n’est-ce pas d’abord la mort des autres, et de ceux qui nous sont chers en premier lieu qui nous renvoie à notre propre mort ?

     Du point de vue philosophique, la mort qui nous importe est non celle de l’individu mais celle de la société. Si la société vit à partir des éléments qui la composent, l’intérêt collectif doit primer sur l’intérêt individuel.

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     On n’apprend pas à mourir. Tout juste peut-on s’y préparer. C’est alors une préparation sans préparatif (Jankélévitch).

     Il existe une pulsion de mort qui nous prédispose à la violence et à la guerre (ex : attraction devant un accident).

     Philosopher c’est apprendre à mourir (Socrate-Platon). La mort serait alors l’achèvement d’une vie passée à se détacher du corps. La mort est donc un bien, un beau risque, une délivrance.

     Cette approche est fondée sur la séparation âme-corps, esprit-matière. Si l’on admet la dualité âme-corps, l’un immortel, l’autre périssable, la perte du corps n’a aucune importance.

     N’y a-t-il que les imbéciles ou les désespérés qui se réjouissent de la mort ? Le cas de Socrate qui accepte de boire la cigüe montre que non. Il désire rejoindre les dieux, le monde de l’esprit. Le corps n’est rien, l’esprit est tout. Jésus veut également mourir pour accomplir sa mission. Juda et Ponce Pilate seraient, selon cette thèse, non des criminels mais des agents favorisant son dessein.

     Le mythe d’Er dans la République de Platon est considéré comme le premier témoignage d'expérience de mort imminente (selon la tradition orphique, réminiscence, transmigration des âmes). On assiste par les yeux d'Er à une vision de l'après-vie, où les âmes connaitraient souffrances ou récompenses.

     Si l’âme représente la totalité de l’être, de la fonction d’homme, alors c’est l’âme qui est jugé (notions chrétiennes de tribunal céleste, de paradis, d’enfer et de purgatoire).

     Saint-Thomas ajoute un troisième élément à cette dualité âme-corps, l’esprit qui permet à l’homme d’être en rapport avec le divin.

     « Le courage c’est l’unique choix qu’il nous reste face à la mort ». Hanna Arendt.

     Les circonstances de la mort, sinon la mort elle-même, sont imprévisibles, on ne sait jamais dans quelles conditions elle nous frappera. (conf. Vladimir Jankélévitch)

     Il existe de nombreux témoignages qui nous interrogent sur l’après-mort : expériences extracorporelles (impression holographique ?), expériences de mort imminente (EMI ou NDA), sentiment d’être ailleurs (téléportation), de se dédoubler (cas du dédoublement de la personnalité. Réf. au sketch de Raymond Devos), de s’observer de l’extérieur, d’avoir déjà vécu un événement... S’agit-il d’un dérèglement psychophysiologique (option rationaliste, matérialiste) ou de paranormalité (causes surnaturelles, métaphysiques ou mystiques) ?

     La perception de son corps n’arrive qu’à un âge de maturité (test du miroir). Le cerveau garde en mémoire l’image du corps dans sa totalité (cas d’amputations).

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    Il existe une part considérable de perceptions inconscientes, notamment au plan de notre champ de vision.

     La science reste prudente, et on est loin encore de pouvoir tout expliquer. L’analyse de ces phénomènes accidentels qu’on ne peut reproduire à volonté en laboratoire est encore balbutiante et les recherches en neurophysiologie ont beaucoup à nous apprendre sur les mécanismes complexes de notre cerveau.

     La « sélection » d’ordre culturel et technique pourrait précéder la sélection naturelle (sociobiologie conf. O. Wilson, Yves Coppens et Pascal Picq) : l’existence précède l’essence (Sartre). Il est donc difficile de déterminer la limite entre l’inné et l’acquis (prédisposition, aptitude, cerveau musical en rapport à la culture). Par conséquent, est-ce l’inné ou l’acquis qui est le plus ajustable ?

     Si l’on admet que la mort n’apparaît qu’avec la sexualité et la procréation, alors le prix à payer en vaut la peine. En perdant l’immortalité, le vivant a gagné la sexualité, l’accouplement et le partage.

     La pensée de la mort est la résultante de l’apparition de la conscience. Si elle s’accompagne d’une angoisse, voire d’un désespoir, elle marque ainsi un progrès de l’humanité (apparition des sépultures, des cérémonies et des rites mortuaires).

     La religion apporte un réconfort (existence d’un au-delà, salut de l’âme, résurrection, incarnation, métempsychose…). La psychologie tend à détrôner la théologie.

     Être malade c’est « mourir éternellement, mourir sans mourir, mourir la mort » dit Soren Kierkegaard. Le désespoir est de ne pouvoir mourir (ceci fait appel à la liberté de disposer de sa vie, au suicide assisté, à l’euthanasie… sujet non abordé à cette séance faute de temps).

     Ce sont les contingences sociales, nos valeurs culturelles qui nous empêchent de nous défaire aisément de notre « moi ».

     La sagesse accepte notre finitude et l’impermanence de tout (conf. Le Livre tibétain de la vie et de la mort de Sogyal Rinpoché)

     Référence au mythe de Sisyphe selon Camus. Le suicide est selon lui un signe de manque de force face au « rien ». Car même si la vie est une aventure sans signification absolue, elle vaut la peine d’être vécue. C’est aux hommes eux-mêmes de donner sens à la vie.

     Vivre c’est devenir humain, c’est aimer, être solidaire, ici et maintenant. Le risque est de perdre sa liberté en se laissant manipuler par le discours religieux.

     La vie humaine se situe dans le changement, dans l’adaptation. Être humain c’est devenir humain en faisant des choix. Il en a le potentiel. L’animal, lui, demeure ce qu’il est.

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     Y aurait-il une pensée supérieure fédératrice qui agirait sur notre subconscient? (conf. divergences entre Freud et Jung)

     Existerait-il quelque chose d’innée autre que la régénération cellulaire ? Une énergie vitale ?

     Il y a lieu de faire un parallèle entre l’histoire de l’humanité (longue durée) et celle d’une vie d’homme (à peine un siècle) pour noter les concordances.

     Nous sommes dès la naissance programmés pour la mort. Ainsi est-il frustrant pour une mère de donner la mort en perspective en même temps que la vie.

     La société (la civilisation) nous fait oublier (occulte) la mort et nous perdons ainsi réalisme et lucidité au profit de l’angoisse.

     Les nouvelles générations sont plus aptes à aborder cette réalité : progrès du langage et des connaissances, médias… mais elles subissent le dictat des normes (rester jeune, beau…, fuir la mort) et la plongée dans le virtuel (écrans, jeux, téléphones...)

     Jusqu’où la société peut-elle aller dans sa quête de connaissances pour reculer les limites du possible ? Jusqu’à la mort de l’humanité ? Jusqu’à une autre espèce (homme augmenté) ?

    Comme à chaque séance, le temps nous a manqué. L’interruption de l’échange après deux heures de débat est frustrante. Le sujet est immense, plus vaste encore que beaucoup d’entre nous l’avaient supposé. À l’évidence, il aurait mérité plusieurs séances. Peut-être, également, l’aspect scientifique de la question a-t-il prévalu sur sa dimension philosophique. Le sentiment général des participants à cet atelier était, néanmoins, celui de la satisfaction et de l’envie d’approfondir la question.

    III. Références bibliographiques

    - De l’âme d'Aristote

    - De l’âme de François Tcheng

    - Savoir ou révélation: La mythologie entre Freud et Jung de Jacquy Chemouni

    - La mort de Vladimir Jankélévitch

    - Traité d’athéologie de Michel Onfray

    - L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux

    - Les animaux dénaturés (roman) de Vercors

    - Philosophie de la mort et autres textes de Guillaume Cuchet et Frédéric Ozanam

    - Des philosophes devant la mort de Bertrand Quentin

    - Le Livre tibétain de la vie et de la mort de Sogyal Rinpoché

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    NB : Il est également conseillé de lire à ce sujet les synthèses de l’atelier de Narbonne (les demander à Michel Tardieu)

    IV. Complément d’informations

    1. À propos du roman Les Animaux dénaturés (1952) auquel s’est référé Jacky.

    Résumé (d’après Wikipedia)

    Des anthropologues partis à la recherche du « chaînon manquant » (hypothétique créature intermédiaire entre l'homme et le singe) découvrent celui-ci, non pas sous forme de fossile, mais d'une population vivante. L'espèce est nommée Paranthropus greamiensis en l'honneur de son découvreur Greame, et surnommée Tropi.

    Un homme d'affaires nommé Vancruysen imagine d'en faire une main-d'oeuvre à bon marché, sans salaires ni droits, pour une usine de lainage. Dès lors, les anthropologues comprennent qu'il faudra bien répondre à la question « les tropis sont-ils des hommes ? », questions que les anthropologues ont l'habitude de rejeter concernant les espèces de la lignée humaine, la jugeant assimilable au paradoxe sorite.

    Les autorités préfèrent ne pas tenter de répondre à la question. Pire, il apparaît que la question « les tropis sont-ils des hommes ? » est tout simplement insoluble parce que la question « Qu'est-ce que l'homme ? » elle-même n'a pas de réponse écrite dans la loi. Les anthropologues décident de tester si les tropis sont interféconds, d'une part avec les singes, d'autre part avec les hommes. Mais les inséminations artificielles de femelles tropis par du sperme d'homme et de singe se révèlent toutes fécondes, ce qui interdit d'avoir la réponse par ce critère avant que ces rejetons ne soient eux-mêmes en âge de procréer.

    La difficulté de la question vient évidemment du fait que les tropis étant par définition l'intermédiaire entre l'homme et le singe, il est difficile de dire quels sont leurs droits. Quand un neurologue avance un critère basé sur la complexité du cerveau, le juge fait vite admettre au neurologue qu'il utilise en fait un critère circulaire : le niveau de complexité qu'il réclame à un cerveau pour qualifier un être d'humain est le niveau suffisamment proche de celui qu'il a trouvé chez les humains étudiés jusque-là. Or, les tropis ont un cerveau beaucoup plus simple que les Homo sapiens, mais beaucoup plus complexe que celui des singes. Ce critère peut donc trancher dans le sens qu'on veut selon la manière dont on place la limite. De même pour le langage.

    Pour forcer les autorités à prendre position, Douglas Templemore tue le rejeton de la femelle tropi fécondée avec du sperme humain, son fils biologique car il est le donneur et son fils légal car il est parvenu à le faire inscrire à l'état civil.

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    2. À propos de la controverse de Valladolid (d’après La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité de Michel Fabre)

    Nous sommes en Espagne au XVIe siècle. Christophe Colomb vient de découvrir les Amériques (1492). Espagnols et Portugais entreprennent la colonisation du Nouveau Monde. La population indigène se voit décimée par la variole, la rougeole et les massacres. Les « Indiens » sont également dépossédés de leurs terres et corvéables à merci. L’Église réagit à plusieurs reprises. Le sermon du franciscain Cordoba en 1511, dans la cathédrale de Saint-Domingue, lance en vain une accusation terrible contre la colonisation.

    La controverse de Valladolid est un débat qui oppose, durant le pontificat du pape Jules III, essentiellement le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda en deux séances d'un mois chacune (l'une en 1550 et l'autre en 1551) au collège San Gregorio de Valladolid (au Nord de l’Espagne). Ce débat réunissait théologiens, juristes et administrateurs du royaume, afin que, selon le souhait de Charles Quint, il se traite et parle de la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde.

    Concernant l’identité des Indiens, les contradicteurs disposent de plusieurs grilles. Théologique : sont-ils des démons, des êtres que Dieu refuse, ou des fils de Dieu ? Métaphysique : sont-ils des êtres humains comme nous ou plutôt des êtres d’une humanité inférieure, comme ces « esclaves de nature » d’Aristote ? Un spectre anthropologique : sont-ils des bêtes, des sortes de singes ? Des sauvages, de bons sauvages, comme le pense Colomb au début de son exploration ? Ou des barbares cruels qui se livrent à des exactions de toutes sortes et en particulier à des sacrifices humains ? Ne sont-ils pas finalement des hommes semblables à nous, ni meilleurs ni pires ? De la qualification des Indiens va dépendre leur traitement : comment faut-il se comporter dans la colonisation ? Et même, qu’est-ce qui justifie de conquérir ces terres lointaines ? La controverse prend bien l’allure d’un diagnostic.

    V. Prochain atelier  Date : lundi 19 décembre 2016-11-27 à 18h  Sujet choisi : « Philosopher pour quoi faire ? »

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    VI. Annexes : contribution des participants

    VII.

    1. Dessin de Frédéric

    2. Texte narratif de Georges

    Mise à mort

    Quand elle me lança son défi, il était un peu moins de minuit. Je mis mon habit de lumière pour chasser les ténèbres et j’entrai dans l’arène, l’épée au fourreau, la muleta telle une aile prolongeant mon bras gauche. Ma fierté bombait mon torse et creusait mes reins. La mort m’attendait de pied ferme. Moi je débordais de vie. La vie à l’envi. L’amour lové à l’âme, je me surpris à chanter : « Amor, amor, amor, nació de tí nació de mí de la esperanza ! »

    L’animal du diable était à l’arrêt, plus noire que la nuit. Ses sabots postérieurs frottaient le sable soulevant des vapeurs de poussière. Son regard de Gorgone me transperçait déjà. J’étais seul et frêle face à ce monstre aux cornes acérées, de sept cents kilos de muscles. Point de picadors pour me venir en aide, pas la moindre quadrille. Point de peones aussi avec leurs banderilles. Pas une silhouette non plus sur les gradins déserts pour prendre mon partie et me faire triompher de l’absurdité. Les aficionados dormaient du sommeil de l’insouciance. La mort est une outrance qui n’a pas droit au rêve. J’aurais aimé pourtant qu’on témoignât de

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    l’événement. L’éternité des morts n’est-elle pas dans la mémoire des vivants ? Le ciel était vide, sans juge et sans recours. Des myriades d’étoiles indifférentes à cette mise à mort minuscule et dérisoire clignotaient à l’infini. J’étais à deux pas de l’antre du mystère et l’envers du miroir. Matamore dans l’arène, seul et sans excuses si près de l’impensable. Corrida de l’entre-deux : la mort pour la vie, la vie pour la mort. Duel en quête de sens. Allais-je enfin savoir ?

    Je n’avais pas peur. Ma vie m’avait bien préparé à affronter la mort. Lors de ma première mort à ma naissance d’abord. Je mourus du ventre maternel pour ressusciter brutalement dans le monde des mortels. J’en hurlai de douleur. Les cris sont les râles du coeur qui font entendre raison à l’agonie. Puis plusieurs fois mon instinct m’empêcha in extrémis de franchir le pas de l’au-delà. Combien de fois me suis-je évanoui perdant toute conscience ? Combien de fois suis-je passé de l’éveil au sommeil sombrant en un instant dans un ailleurs sans nul autre pareil ? Morts entre parenthèses et en points de suspension. Mort de mon prépuce lors de ma circoncision. Mort de ma virginité et de ma vie de garçon. Je pouvais dès lors donner la vie, mais une vie en sursis avec sa fin en ligne de mire. Il y eut alors les petites morts où l’acmé du plaisir m’éleva aux frontières de l’Eden. Mort de mes rêves d’enfant et de mes illusions d’adulte. Il y eut de surcroît la mort de Dieu qui m’accoutuma au vertige du néant. Je mis un demi-siècle à en faire mon deuil au grand dam des diseurs de bonne espérance. Et puis vint la mort de mes êtres chéris qui me rappela à ma finitude, à l’irréversibilité et la relativité du temps. La vie n’a que le sens qu’on lui donne, devais-je convenir. J’étais libre, libre de mourir, non pas de subir et servir mon angoisse. En pensant à la mort, j’étais plus que jamais vivant, l’esprit chevillé au corps, sensible à la relativité et l’impermanence du décor.

    À peine ai-je agité la cape rouge sang que le taureau zélé, minotaure et démon, les cornes en avant au niveau de mon foie, fondit sur moi tel un aigle sur sa proie. Il lacéra la muleta avec une rage folle, la piétina. L’âcreté de son souffle me parvint à la gorge et se ramifia au tréfonds de mon être. Mourir ne m’importait guère, je ne voulais pas souffrir. J’étais prêt à mourir, pas à perdre l’existence en d’horribles tortures. J’étais prêt à partir sans remords, sans même me retourner sur ma vie accomplie, à laisser choir mes plus chers désirs, mais pas à immoler ma précieuse dignité.

    La mort se retira pour prendre son élan et lancer son assaut décisif. Ancré au sol sur mes jambes crispées et sur mes pieds joints, la main droite en aplat sur la hanche, le buste légèrement vrillé, l’épée pointant à l’horizon mon devenir, j’attendis sans trembler la mort en furie. Minute de vérité suspendue au hasard de la nécessité. La bête immonde vint en un éclair s’éperonner sans me faire reculer. Se peut-il que la mort éperdue ait l’instinct suicidaire ? L’épée pénétra tout entière juste au-dessus des yeux allant par sa courbure la toucher en plein coeur. La mort s’écroula dans un ultime soupir. La mort n’était alors qu’un amas de matière.

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    J’avais vaincu la mort. J’avais droit au sursis. Soudain il me vint à l’esprit que je n’avais pas eu tout mon compte d’amour. Résistant à la tentation d’Orphée, je quittai l’arène en courant et me mis à crier pour réveiller les vivants : « Amor, amor, amor, nació de tí nació de mí de la esperanza ! »

    Georges

    VIII. La part de l’humour

    (Et si l’humour, au lieu d’être « la politesse du désespoir », était un pied de nez à la mort ?)

    - « La mort est une compétition où chacun espère arriver le dernier. » Maurice Chapelan

    - Mort : échéance de fin de moi qui coûte cher.

    - « Partir, c’est mourir un peu mais mourir, c’est partir beaucoup. » Alphonse Allais

    - « Je me suis toujours demandé si les gauchers passaient l'arme à droite. » Alphonse Allais

    - « La mort, ce serait le rêve si, de temps en temps, on pouvait ouvrir l'oeil. » Jules Renard

    - La vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible.

    - On ne meurt qu’une fois. C’est une fois de trop.

    - Vivre c’est devenir. Mourir c’est à venir.

    - L’alcool tue lentement. On s’en fout, on n’est pas pressé !

    - Je meurs donc je suis encore !

    - « Tu ne m'as jamais donné signe de vie, et l'on me fait part aujourd'hui de ta mort, n'est-ce pas un peu tard pour faire connaissance ? » Adolphe d'Houdetot

    - « Je ne sais pas ce qui m’inquiète à propos de la mort : sans doute les horaires. » Woody Allen

    - « Dieu est mort, Marx est mort et moi-même, je ne me sens pas très bien. » Woody Allen

    - Peu avant sa mort, on lui dit : « Mon cher maître, vous êtes solide comme un chêne! Il répondit : Pour le tronc, ça va, c'est le gland qui m'inquiète! »Théophile Gautier

    - « La mort n'est, en définitive, que la conséquence d'un manque de savoir vivre. » Pierre Dac

    - « Heureusement que Jésus-Christ n'est pas mort dans son lit. Sinon, en Bretagne, il y aurait un sommier en granit à chaque carrefour. » Jean Yanne

    - « Ça ne doit pas être si difficile que ça de mourir parce que finalement tout le monde y arrive. » André Gide

    - « Il vaut mieux s'en aller la tête basse que les pieds devant. » Michel Audiard

    - « Quand le coeur d'un grand homme cesse de battre, on donne son nom à une artère. » Pierre Daninosest

    - La mort est un cynique qui meure à l’oreille des vivants