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201117
Lundi 20 novembre 2017 Médiathèque Jean Ferrat Argelès 18:00
ATELIER PHILO Par J. Arlettaz
thème : L'Utopie est-elle un rêve inutile
La suite, texte lanceur
L'Utopie est-elle un rêve inutile ? 20/11/17
Le terme Utopie, est construit du privatif U (se prononce ou) et de topos (qui indique un lieu).
Dans l'en-tête de l'édition de Bâle de 1518 Thomas More utilise comme lieu imaginaire le mot Eutopia, qu'il a conçu avec le préfixe EU (que l'on retrouve dans euphorie) néologisme qui doit évoquer le bon lieu, le lieu du bonheur.
En combinant les deux étymologies, lieu du bien et lieu qui n'existe pas nous devons comprendre qu'un lieu parfait est impossible. D'où certaines mises en garde.( Orwell, Huxley.)
L'Utopie, mot créé par Thomas More et publié en 1516 décrit la meilleure constitution d'une République. On peut trouver chez Platon, une première forme de la pensée utopiste (La République). Celle ci comme genre philosophique et littéraire se développe surtout à la Renaissance (outre l'Utopie de Thomas More, la nouvelle Atlantide de Francis Bacon, ou la cité du soleil de Camparella) et au XIX° siècle avec ce que Marx appelait « le socialisme utopique » qui projetait une société égalitaire harmonieuse et fraternelle.
Le rêve social généralisé n'est plus d'actualité, mais l'idée et le mot Utopie ne sont pas vidés de sens et de pouvoir. Ils sont passés dans de nombreuses langues, en français à partir de Rabelais, et quasiment dans toute l'Europe. C'est un développement du rêve et de l'espoir: espoir de liberté, d'égalité, de fraternité pour les humains. Mais son nom avertit que cet idéal n’existe nulle part. Malgré l'ironie du socialiste Engels, qui se voulait scientifique, les utopistes Proudhon, Fourier et d'autres nous ont fourni de belles idées, pas moins réalisables que d'autres. L'Utopie habite toutes les grandes démarches politiques. Si la politique s'en tient au réalisme local et au pragmatisme, elle risque de perdre son âme..
Les Utopies dénoncent, préviennent
La littérature a très souvent flirté avec le concept d'Utopie: on le retrouve dans l'Eldorado de Voltaire dans Candide (expression des valeurs des Lumières, la critique des rites établis, du pouvoir religieux, l'apologie de la science), dans « La Cité du soleil » de Camparella, l'Utopie au service du relativisme contestataire dans Gargantua...(« fais ce que vouldras »).
Si les Utopies dénoncent les dysfonctionnements, préviennent, elles suggèrent une envie d'approcher une vue parfaite en même temps qu'elles induisent les tourments d'une vie monotone et ennuyeuse. Elles peuvent «être déprimantes car elles ne laissent place au hasard, à la différence, aux divers. Tout y a été mis en ordre et l'ordre règne» nous précise G.Perec.
Si elles sont nécessaires pour le bonheur humain, Montesquieu, par contre, estime que « le mieux est l'ennemi du bien et donc il faut admettre l'imperfection au risque de devenir aliéné.»
Sont-elles pour autant dangereuses ? H.Laborit prétend « qu'elles sont indispensables à l'évolution et que c'est le dogmatisme que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leurs dominances qui sont dangereuses ». Par contre, elles peuvent le devenir quand sous prétexte de réaliser le rêve sur terre, le rêve se met à plier autoritairement le réel à ses propres exigences. Le rêve devient cauchemar.
Utilités ? Les avis sont partagés !s'évader, rêver, pousser à la réflexion ?(Candide).
Les Utopies n'ont pas toutes le même sens et peuvent être diversement interprétées:(critique sociale et politique de la société réelle) mais aussi selon Kant, constituer un idéal régulateur, une condition limite du progrès moral et politique. On distingue les Utopies théoriques et les Utopies pratiques. Il est difficile de voir un facteur réel de changement social.
Elles peuvent même être jugées de réactionnaires. De fait elles sont souvent situées dans les îles et conçues comme des micro-sociétés non exposées aux vicissitudes du temps.
C'est pourquoi des penseurs comme Marx, Machiavel et plus près de nous Hans Jonas ont pu reprocher à l'Utopie d'être non seulement inutile mais politiquement nuisible: en étant en dehors du réel, elle ne permet aucune prise sur lui et rend donc impossible toute transformation véritable.
Face au réalisme cynique de Machiavel, Thomas More rappelle que la politique ne doit pas simplement se fonder sur ce qui est mais sur ce qui doit être. Car si les faits se mettent à guider les valeurs, le risque est grand qu'un fait sans valeur ou contre toute valeur devienne une valeur. L'Utopie vise à maintenir un écart entre fait et valeur sinon il n'y a plus de valeur.
Même si l'Utopie nous sauve du temps (uchronie) par le bonheur, hors de ce monde, elle n'échappe jamais à son temps, dont elle est le reflet implicite. Les Utopies de Jules Verne expriment enfin le messianisme du même siècle.
Envers de l'histoire, n'est ce pas une boucle d'un Eden perdu.... à l'avènement d'un paradis terrestre ?
On peut voir aussi dans l'Utopie, la résolution des contradictions dans l'imaginaire, en période de mutations, de crise, telles les «bergeries » du XVIII° siècle.
L'Utopie est ambiguë: traditionnellement espace autonome, elle devient prospective et prophétique avec la modernité. Elle passe pour réactionnaire ou totalitaire.
Mais comme le mythe, elle témoigne de la valeur positive de l'imaginaire comme moteur du réel, comme pionnière de formes nouvelles, architecturales et sociales (Godin à Guise, Le Corbusier).
Enfin que penser de la déclaration de Cioran: «Les nouvelles terres que proposent les Utopies affectent de plus en plus la figure d'un nouvel enfer. Cioran
Est-ce utopique de vivre sans utopie? J.A