• 11 avril

    Lundi 11 avril 18 heures Médiathèque

      

    ATELIER PHILO

    LA TRANSMISSION DES VALEURS par J. ARLETTAZ

     par JACKY ARLETTAZ 

    Le dernier débat a montré que parler des valeurs ne va pas de soi : difficile de les définir, de les nommer (souvent implicites) ; elles sont problématiques, d’autant que leur contenu varie ainsi que leur hiérarchie (Sparte, par exemple, mettait le courage au-dessus de la justice contrairement à Athènes) ; plurielles elles entrent en tension, et la question se complique encore lorsqu’il y a conflit de légitimité entre valeurs également respectables (égalité - à chacun la même chose- ou équité- donner plus à ceux qui ont moins ; l’ordre ou le changement ? liberté de chacun ou sécurité de tous ?…). Leur pluralité, constitue une source inépuisable et sans doute indépassable de discordance.

    Mais enfin, d’où viennent-elles ? « On a l’impression qu’elles s’imposent à nous, sans que l’on sache vraiment pourquoi ! ». Et si nous essayions de réfléchir à cette phrase qui a ponctué le précédent débat ?

    Les valeurs, comme éléments constituants d’une culture…

    Nous pourrions faire référence à Emile Henriot (1889-1961) auteur de la phrase désormais célèbre : « la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ». La culture évoquée s’oppose doublement à la fausse culture que représente l’érudition (accumulation de savoir) cantonnée dans un secteur restreint. Les connaissances en tant que telles ont pu s’effacer, mais des aptitudes subsistent : ce qui « reste » s’est incorporé à la personnalité si bien qu’on a l’impression que tout a été oublié. De même qu’ayant oublié toutes ces années de vie, les valeurs sans que l’on s’en rende compte ont façonné notre esprit.

    Mais comment et par quelles stratégies et sous quelles contraintes l’humanité se transmet-elle les valeurs et systèmes qu’elle produit ou conserve d’époque en époque ?

    La transmission culturelle 

    Les valeurs n’ont jamais quitté  le monde de l’éducation pour la simple raison qu’il n’y a pas d’éducation sans valeurs (précise O.Reboul). Mais parler des valeurs de l’éducation n’est-ce pas laisser entendre que ces valeurs cessent d’être dès qu’on a fini d’éduquer ? Et éduquer vers quoi ?

    Autrefois, l’adulte était le modèle, la forme la plus achevée de l’être humain ; aujourd’hui, on aurait tendance à dire qu’il en est la dégénérescence.

    Des valeurs plutôt culturelles : on peut affirmer que ces valeurs ne font pas partie de notre bagage génétique à notre naissance. Toutefois elles sont doublement premières :

    - chronologiquement car dès les premiers instants de la vie nous y sommes confrontés

    - qualitativement, parce qu’elles président, tout au long de notre existence, à nos choix, à nos engagements, nos refus…

    Dans un premier temps, l’éducation est essentiellement parentale ; mais les parents prennent-ils toujours le risque, de mettre en péril, leur relation affective avec leurs enfants lorsqu’il s’agit d’inculquer des valeurs qu’on leur a inculquées à eux-mêmes ? De plus inculquent-ils encore des valeurs auxquelles eux-mêmes  ne croient plus ?

    Dans un monde qui est passé (d’après F. de Singly) d’un modèle d’identification à un modèle d’expérimentation, les jeunes s’éloignent de leur groupe naturel vers des « sociétés » lointaines ou virtuelles, plus prestigieuses,… plus prometteuses. Cela diminue d’autant la capacité du groupe familial à fournir des références, et la réduit au relationnel affectif . Le groupe n’est plus de ce fait pertinent, sur le plan des normes et des valeurs ; l’insécurité est peut-être de mise. Les jeunes sont désormais libres d’inventer et sont devenus des « réseaux pensants ».

    Reste le problème de l’autorité : les jeunes en demandent tout en la rejetant, pendant que les adultes l’exercent, tout en s’y refusant.

    Et quelles valeurs transmettre ?

    Si nous disons que nos valeurs sont universelles on nous accuse d’ethnocentrisme et d’oppression : car de quel droit imposer notre éducation aux autres cultures ? Si nous nous résignons à ce que nos valeurs soient relatives, alors notre culture n’est plus qu’une culture parmi les autres et perd sa légitimité : alors de quel droit imposons-nous à nos propres enfants des valeurs qui n’en sont pas pour les autres ? N’est-ce pas un arbitraire culturel ?

    Notre culture est très relative et imparfaite, tranche O.Reboul, mais elle le sait. …contrairement à d’autres.

    Que peut faire l’école ?

    L’école n’est-elle pas faite tout d’abord pour instruire, c’est à dire transmettre des savoirs ? (E. Bussienne et M. Tozzi) à moins que les valeurs ne soient elles-mêmes des savoirs… et qu’on puisse enseigner des valeurs comme savoirs. Peut-on dès lors se contenter d’instruire (cours d’instruction civique et morale dans les programmes de 2008) des valeurs, (même si Montaigne déjà soulignait qu’une pédagogie de l’apprentissage sera toujours préférable à une pédagogie du gavage) ? de transmettre des valeurs ? ou éduquer aux valeurs ?

    Cette école a-t-elle toujours comme mission essentielle de transmettre des valeurs ?

    Certes elle éduque, participe à la construction de connaissances, aide à l’élaboration d’un jugement critique… mais un jugement de connaissances est différent d’un jugement de valeurs : ce dernier sert à reconnaître non plus le vrai du faux (les scientifiques diront le juste du faux) mais le juste de l’injuste, le bien du mal et cela nous pousse à agir.

    Peut-on agir en portant seulement des jugements de connaissance ? 

    Notre société est schizophrénique : d’un côté elle valorise l’absence de contraintes, le style informel, le plaisir de vivre et d’aimer, le « je fais ce qui me plaît et je vais où je veux » : les valeurs de travail comme celles des engagements durables se trouvent discréditées et récusées.

    D’un autre côté, au même moment, le discours sur l’école exalte plus de sévérité, d’effort de travail. Peut-on inculquer dans et par l’école d’autres valeurs que celles de la société elle-même ? Exaspère-t-on dans l’école une contradiction ?

    Lui est-il possible d’assumer les valeurs comme étant objectives, durables, universelles et de l’autre comme subjectives, périssables, actualisables ?

    Quant à l’injonction faite par la société à l’Ecole de s’adapter ou d’innover, on pourrait répondre : INNOVER, est-ce une valeur ? Peut-être économique, car on a besoin d’innover pour survivre, trouver de nouveaux marchés, de nouveaux clients : mais est-ce une valeur d’éducation ? Quant à s’adapter… pourquoi ne demanderions-nous pas à la société de le faire ?

    Un enseignant ne travaille pas a dit A. Jacquard… il participe à une société et ne doit pas oublier que les valeurs ne sont jamais désincarnées : il transmet d’abord les valeurs à travers ses attitudes et ses actes (même si certains s’en défendent et refusent d’endosser le rôle d’éducateur) et en tout premier lieu à travers les relations qu’il noue avec les jeunes.

    Les autres influences

    On ne peut passer sous silence l’« éducation clandestine » exercée par les média qui éduquent mais ne le disent pas… s’en défendent parfois ; ils délivrent aux yeux de tous, une morale chargée de valeurs implicites qui sont le plus souvent celles du chacun pour soi, légitimant la violence, le sexe mercantile… et donc, l’enseignement des valeurs éducatives devient un acte de résistance face à cette concurrence déloyale vis à vis de l’Ecole.

    Et peut-être que si nos espérances en l’Ecole (comme étant le seul moyen capable de régler tous les problèmes) sont déçues, ce n’est peut-être pas l’Ecole qui a tort, ce sont peut-être nos espérances. La crise actuelle de l’éducation  ne vient-elle pas de l’élargissement de ses missions plus que de son échec à les remplir ?

    Le salut ne peut-il passer que par une résistance farouche aux sirènes de la modernité ? qu’en privilégiant la fidélité à des valeurs existantes sur l’invention de nouvelles valeurs ? qu’en permettant aux jeunes de se construire ou de choisir leurs propres valeurs ou de reprendre consciemment à leur compte certaines valeurs ? qu’en construisant une culture de valeurs commune qui articule l’individuel, le subjectif, le désir, le collectif, l’universalisable ?….

     

    Ne revient-il pas à chacun de faire des choix, dont on sait qu’aucun ne pourrait prétendre à une valeur universelle, s’il n’incluait pas le souci de l’AUTRE ?